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Sébastien : Emmanuel, bonjour et merci de nous accorder cet entretien dans un emploi du temps qu’on devine fort chargé. Combien de représentations dans cette tournée ?
Emmanuel : Bonjour à vous ! En effet, mon emploi du temps est assez chargé. Mais ça va. Nous avons débuté le 12 novembre et on va jouer jusqu’au 19 décembre, donc une trentaine de dates. On a une pause en janvier et ça reprend en février jusqu’en mars. Donc en tout je pense qu’il y aura une cinquantaine de dates, ce qui est plutôt pas mal.
Sébastien : Quelles ont été les voix d’artistes qui ont bercé ta prime jeunesse et adolescence ?
Emmanuel : Quand j’étais plus jeune, j’étais très « chanson française » : Jean-Jacques Goldman, Francis Cabrel, qui sont pour moi les piliers de la chanson française ou en tout cas de variété française. Après, j’ai aimé Piaf, Barbara… Plus j’ai grandi, plus mes influences se sont diversifiées. Je crois que j’ai été, et encore plus aujourd’hui, sensible au talent, à l’émotion que provoque un chanteur ou une chanson. Aujourd’hui c’est très varié.
Sébastien : Quel genre d’élève étais-tu sur les bancs de l’école ?
Emmanuel : J’ai eu deux phases. J’étais très bon à l’école, je n’avais pas besoin de travailler beaucoup, j’avais l’esprit assez logique, donc en général je comprenais bien les choses et comme je raisonnais beaucoup, c’était plus facile pour moi que d’apprendre un texte ou une leçon et de la réécrire sur un bout de papier. J’étais donc très sérieux durant cette première phase.
Par la suite, au collège jusqu’au lycée, et comme je me faisais un peu chahuter par certains de mes camarades, j’ai eu une période un peu rebelle où j’ai commencé à répondre aux professeurs et me montrer un peu insolent, certainement afin de sortir de cette image trop lisse de premier de la classe et qui me collait à la peau. J’ai décroché mon bac ES avec mention Bien, puis j’ai fait une fac de géographie. Rapidement, j’ai abandonné mes études car à ce moment-là je faisais partie d’une chorale, et, comme j’avais alors environ dix-huit ans, j’ai pris conscience que j’avais envie de me lancer dans la musique et j’ai mis toutes les chances de mon côté pour parvenir à réussir dans ce domaine. J’ai donc arrêté les études durant cette période.
Sébastien : Depuis quand joues-tu du piano ?
Emmanuel : J’ai appris la musique vers l’âge de dix ans. J’ai pris des cours de solfège avec un clavier, puis des cours d’orgue. Je me suis mis un peu plus tard au piano de manière autodidacte. Je ne suis pas très bon pianiste, mais j’ai une façon de jouer qui m’est propre.
Marie : Peux-tu nous dire comment tu as été amené à monter sur scène ?
Emmanuel : A quinze ans, j’ai commencé à écrire mes premières chansons. Dès mes débuts en musique, je me suis rendu compte que j’avais envie de créer et que la musique me permettait d’exploiter et dire des choses que je ne pouvais pas dire dans la vie de tous les jours, une sorte d’exutoire. Plus
tard, j’ai fait des concerts vers l’âge de vingt ans avec mes propres chansons.
L’expérience de la scène est venue quand j’ai été au sein d’une troupe comme chanteur et comédien, j’ai fait un gala de fin d’année avec une cinquantaine de représentations tous les hivers dans une salle au Mans où j’habitais. J’ai eu une bonne expérience de scène grâce à ces aventures-là, et comme je m’investissais beaucoup dans mon travail, je décrochais des petits jobs pour la ville, des événements pour des reprises mais pas avec mes propres chansons. De vrais concerts avec mes chansons, il n’y en a pas eu tant que cela avant le Roi Soleil. Tout a vraiment démarré après.
Sébastien : Peut-on dire que c’est le Roi Soleil qui t’a
permis d’être propulsé sur scène et de te faire découvrir?
Emmanuel : Complètement ! C’est un tremplin énorme qui te permet de gagner au moins dix ans d’investissement professionnel. Il y a tellement de monde et surtout avec tellement peu de places dans notre société, surtout dans un contexte de crise difficile que je mesure d’autant mieux la
chance que j’ai eue. Si je n’avais pas fait le Roi Soleil, les gens ne me connaitraient pas, ne reconnaitraient pas ma voix et sans doute n’aurais-je pas rencontré tous ces gens qui m’ont fait confiance, qui ont cru en moi, et m’ont permis de poursuivre mon aventure. Ce qui m’intéresse, c’est d’être encore là dans dix ans, de faire du travail de qualité, de penser les choses, d’être sincère, d’être à ma place.
Sébastien : Les sonorités de tes concerts sont aujourd’hui électro-pop, mais cela n’a pas toujours été ainsi. Peux-tu nous parler de ton parcours musical depuis tes toutes jeunes années jusqu’à aujourd’hui ?
Emmanuel : Comme je l’ai dit, j’étais très attaché à la chanson française. Je suis un chanteur français qui chante des chansons françaises. J’attache énormément d’importance
au texte, à ce que je dis, à la musique. Je suis chanteur compositeur donc je crée des mélodies que tu dois prendre plaisir à écouter chanter, mais pas que techniquement. Le texte est là pour y ajouter une émotion, et j’attache une très grande importance à cela. J’ai rencontré Yann Guillon qui a écrit tous les textes de l’album, on se connaît depuis très longtemps et il écrit vraiment comme j’ai envie de dire les choses ; on se connaît tellement qu’on a désormais un travail fait sur mesure. Je suis très fier de cette relation.
Mon premier album était dans la veine du Roi Soleil, mais je ne l’ai
pas entièrement contrôlé, j’ai dû faire des concessions. Quant au deuxième, j’ai gagné en liberté pour faire ce que je voulais faire, avec mes propres moyens. J’ai donc pris les rênes en main avec mes compositions, de sorte que tout passe par moi. Mais ça ne veut pas dire que je travaille seul ou que je n’écoute personne, mais je reste décideur en dernier ressort sur mes éléments de travail. C’est comme la scène où j’ai pensé les choses du début à la fin.
Avec l’expérience j’ai appris que lorsque d’autres décident à notre place et qu’au final on ne travaille pas avec ce qui nous correspond, notre travail est de moindre qualité. Si tu n’es pas en accord avec ce que tu fais, ce n’est pas une bonne chose. C’est dans cette nouvelle façon de travailler que se situe la vraie évolution de mon travail, et qui me permet de me sentir à ma place.
Quant aux sonorités, je ne suis pas guitare, mais plutôt clavier, piano. Dans ce nouvel album, le son est différent, mais c’est un son qui me correspond, dans un univers qui est approprié à mes chansons. C’est album de chanson française, avec des couleurs
et des influences différentes, ce qui en fait son originalité.
Marie : Que retiens-tu de ton expérience dans la comédie musicale du Roi Soleil ?
Emmanuel : Beaucoup de choses ! Avoir eu la chance d’avoir été choisi par une dizaine de personnes parmi un panel de plusieurs milliers de candidats est très valorisant et m’a donné confiance en moi. Aux personnes qui m’ont désigné pour représenter le Roi Soleil, je témoigne d’une infinie reconnaissance. J’ai vécu trois ans d’aventures, c’est-à-dire une année de préparation puis deux années de représentations, et c’est difficile de
résumer en quelques mots tout ce que je retiens. C’est pour moi un souvenir infini ! Artistiquement, le bagage que j’ai aujourd’hui, je ne l’aurais pas si je n’avais pas fait le Roi Soleil. Avoir joué plus de quatre cents fois le spectacle avec une troupe et des gens que l’on revoit, est très formateur.
J’ai appris à avoir du recul sur mon travail. Ca a été une chance énorme de pouvoir jouer devant quatre ou cinq mille personnes tous les soirs dans des villes différentes durant deux ans, c’est un rêve ! Cela m’a apporté beaucoup de sérénité, même si à cette époque j’étais un peu pétrifié du changement qui m’a fait connaître et m’a donné un nom. Humainement, j’ai tellement reçu de claques et vécu de choses aussi bonnes que mauvaises, que cela m’a énormément fait mûrir et devenir celui que je suis aujourd’hui. Je ne serais pas là devant vous, centré et apaisé, si je n’étais pas passé par cette case-là.
Sébastien : Te relancerais-tu dans une comédie musicale si tu avais l’opportunité de le faire ?
Emmanuel : Je n’ai rien contre, mais tout de suite, je ne referais pas l’expérience. Malheureusement, en France, les étiquettes sont assez faciles à donner, on met très vite les gens dans une boîte et quand je repense au chemin que j’ai dû parcourir pour être aux yeux du public quelqu’un d’autre qu’un simple chanteur de comédie musicale, je me dis qu’il serait bien trop tôt et peu judicieux de m’y replonger, mais dans dix ans, pourquoi pas ! Il est sûr que si j’en faisais une, je n’aurais pas le même rôle dedans. Je ne parle pas du personnage à jouer, mais de l’investissement où je ne saurais plus me contenter de « sois beau, chante, et tais-toi ».
Marie : Le monde musical t’a ouvert ses bras. Sais-tu dans quel autre domaine tu te serais engagé si les choses n’avaient pas été ainsi ?
Emmanuel : Je ne sais pas. J’ai toujours été attiré dans le domaine du social, dans les échanges, les rencontres. Mon métier actuel me permet de m’exprimer, c’est un langage pour dire ce que je ressens et être sans discontinuer en contact avec les autres. J’aime tellement ce que je fais que j’ai désormais la conviction que j’ai pris la voie qui me correspondait parfaitement. Je ne crois pas pouvoir dire que j’ai délibérément choisi ce métier, mais plutôt que cela s’est fait au fur et à mesure que les portes se sont ouvertes à moi, j’étais fait pour ça. Hier soir, j’étais en représentation à Saint-Etienne, et à la fin du concert j’ai savouré une nouvelle fois mon bonheur de me sentir à ma place, sans avoir à jouer quelqu’un d’autre. Si t’as une place à prendre quelque part, tu dois tout donner pour suivre tes intuitions, te faire confiance, te laisser le temps de grandir. Aujourd’hui j’ai trente ans, mais il y a dix ans, je n’avais pas ce genre de discours, j’étais pétrifié de doutes. J’en ai encore, mais plus les mêmes.
Marie : Y a-t-il des chanteurs français ou étrangers dans lesquels tu trouves de l’inspiration ?
Emmanuel : Comme je l’ai déjà dit dans les médias, je suis très fan de Zazie. Je ne l’ai jamais rencontrée, mais c’est vraiment une artiste qui me touche beaucoup dans son
écriture, le son de sa musique, sa façon d’être. Je ne copie pas son travail, ce n’est pas du tout le cas, mais j’aime cet univers, tant artistiquement qu’humainement. J’aime les choses simples et bien faites. Mais tu sais, je ne parle pas de ceux qui ont beaucoup de succès. En effet, certaines personnes qu’on entend partout ont du succès, mais je trouve leur travail lamentable, qu’ils font de la soupe, et c’est consternant de voir qu’un tel pouvoir de médiatisation soit aussi mal exploité. A contrario, il est dommage de ne pas entendre des personnes pleines de talent. Ce que j’aime c’est le talent avant tout, c’est ça qui me touche.
Je suis fan de Depech’Mode, de Muse, Radiohead, Coldplay, Keane, tout ce qui est pop Anglais. Toutes ces influences m’ont permis d’aller vers autre chose, et ça m’a beaucoup apporté d’écouter autre chose que de la chanson française, de la chanson à voix. C’est parfois mon défaut d’être un peu trop chanteur à voix, de trop chanter, et sur mon dernier disque, j’ai fait un réel travail là-dessus : je chante non plus seulement pour chanter, mais surtout pour dire ce que je ressens.
Je suis aussi fan de classique : quand j’étais à la chorale à l’université, j’ai chanté dans une cathédrale le Requiem de Fauré avec l’orchestre philharmonique des pays de la Loire, c’est une aventure inoubliable ! Dans mon disque on ressent aussi une vraie écriture au niveau des cordes, des chœurs, comme un quatuor à
cordes avec un quatuor vocal : ces influences-là m’ont vraiment guidé dans la réalisation de cet album. Dans mon troisième album, j’irai encore plus loin dans cette voie ! Je ne pense pas qu’il y aura un nouveau son, ce sera encore piano, cordes, électronique, mais mille fois mieux ! Je me sens bien dans ce domaine.
Marie : Concernant justement ton dernier album d’où provient l’inspiration pour écrire tes textes ?
Emmanuel : Je ne suis pas allé chercher bien loin, je m’inspire de la vie au quotidien. Les choses qui me révoltent, qui me touchent le plus, positivement ou négativement. Les choses qui me font sourire, m’enrichissent ou me mettre en colère, me font pleurer, me rendent joyeux. Toutes les situations de la vie. Il y a des gens super dans cette vie, puis à côté de cela, tu vis des choses de (censure du mot), tu rencontres des personnes
malveillantes qui cherchent à te faire douter et te dévaloriser. Les thèmes de l’album ne sont pas spécialement originaux, mais ce qui est original, c’est la façon de les traiter, mon angle de vue. Je voulais que ce soit personnel, que ça me touche. Je pars du principe que du moment que je chante ce qui me touche, ça a infiniment plus de chances de toucher également mon public. Le jour où je n’aurai plus rien à raconter, j’arrêterai la musique.
Sébastien : Est-il envisagé de sortir un DVD de ta tournée actuelle ?
Emmanuel : Je suis toujours partant sur ce genre d’idées, mais ça ne dépend pas que de moi. La production sur scène, la maison de disques… c’est beaucoup de moyens que de produire un DVD. Il faut savoir aussi si ta tournée fonctionne bien.
Actuellement c’est le début de la tournée, c’est donc un peu précoce de savoir s’il y aura un DVD. La question m’est souvent posée par des fans qui vivent tellement des moments heureux durant les concerts qu’ils voudraient les immortaliser. A cette heure en tout cas, la réalisation d’un DVD n’est pas planifiée.
Sébastien : Des projets à moyen et long terme ?
Emmanuel : Bien sûr ! Déjà le
troisième album. J’en suis à l’étape où je note mes idées, j’enregistre des bouts de musique, mais je ne me suis pas encore vraiment mis à créer. En tous cas, l’album « L’équilibre » vient de sortir cette année, donc j’ai encore du temps ! J’ai envie de créer un disque pour quelqu’un, pour un chanteur ou surtout une chanteuse. Ainsi, en restant dans l’ombre, et sans être celui qui est sur le devant de la scène, je pourrai aussi me reposer un peu de temps en temps. En tout cas, même si j’adore travailler, jamais je ne m’arrêterai !
Interview réalisée à Villeurbanne le 11/12/2009
par Marie Pagny et Sébastien Bégouin